Angela Jesuino-Ferretto
Ce que je vais vous proposer ce matin ce sont des questions un peu massives mais qu’à mon sens méritent notre attention car ces questions nous les rencontrons tous – je dirais inévitablement – compte tenu de la matière avec laquelle nous œuvrons.
Je vais introduire ces questions à partir d’une petite phrase qui était ma réponse à un collègue qui m’a posé la question de savoir comment nous intervenons dans le social. Je lui ai répondu du tac au tac : On y va comme analyste !
Cela fait déjà un certain nombre d’années maintenant que je travaill dans le social, comme on dit, mais je dois vous avouer que si vous me demandez si ce que j’y fais c’est de l’analyse de pratique ou de la supervision ou que sais-je encore, je vous dirai que je n’en sais rien. La seule chose dont je suis à peu près certaine c’est que je travaille dans le champ du social dans la même position que lorsque je suis à mon cabinet. Le cadre n’est pas le même, mais il n’y a aucun affaissement de la pratique pour autant. J’ai plutôt envie de dire que si on quitte le « confort » du fauteuil c’est pour mettre un divan dans la cité.
Voilà peut être la raison de ma réponse apparemment simple et qui mérite d’être déployé, évidemment.
Avec quoi œuvrons- nous?
Ici comme ailleurs c’est la parole qui nous oriente et avec quoi nous œuvrons.
Mais en dehors du cadre de la cure proprement dite, une petite difficulté nous attend d’entrée de jeu : Nous œuvrons avec la parole certes, mais comment la rendre opératoire ? Comment faire pour extraire une parole singulière du moulin à parole qui anime les institutions ?
On y va comme analyste pour rétablir les conditions minimales d’une parole. Le travail passe d’abord par le souci de restituer l’adresse de la parole là où elle apparaît comme indifférenciée. Soutenir un transfert donc. Nous y reviendrons sur le transfert et ses spécificités dans ce travail.
Mais d’abord posons la question du cadre. Comment le construire, le faire valoir ? Nous savons tous qu’ici nous sommes dans le domaine de l’invention dans le bons sens du terme. Pour tenir le cadre de la parole il faut inventer quelque chose selon le cas, le cas de chaque institution. Mon expérience est que ce cadre se construit d’autant plus facilement que les travailleurs sociaux se déplacent, s’ils quittent les murs de l’institution. Cela se fait rare actuellement et pourtant… Le déplacement physique, voire psychique a des effets sur la qualité de la parole qu’on peut y tenir.
Posons aussi la question de la demande. Qui demande quoi ?
Dans tous les cas, si j’y vais comme analyste, il s’agit de répondre à la demande par une mise au travail. Je ne fais jamais d’analyse institutionnelle, par exemple. C’est le travail de lecture clinique, qui a des effets sur l’institution. Cela se vérifie à chaque fois.
Pas de transmission d’un savoir constitué non plus. Si transmission il y a, c’est une transmission en acte, en acte de lecture, en acte de parole.
Cela ouvre une question que nous devons nous poser : Qu’est-ce qu’on transmet dans le social ? Ni un savoir, ni un savoir faire. Dans les meilleurs de cas, on peut transmettre une hypothèse : celle du sujet de l’inconscient. Transmettre l’hypothèse du sujet à travers la lecture du cas, au plus près des dires de l’usager et aussi du passeur de paroles qui est le travailleur social s’il veut bien participer de cette fabrique de discours qui l’oblige à se subjectiver pour tenir compte de la subjectivité de l’autre. Cela lui permet s’il le souhaite, de ne pas se laisser clouer par l’institution. Ce qui n’est pas négligeable par le temps qui court.
C’est le travail insidieux du cas par cas : nommer (ce qui implique rompre la barrière du « secret » et de l’anonymat) singulariser, inscrire dans une histoire, c’est faire marcher une fabrique du discours. Coller au discours. C’est toujours un moment important quand on nous rapporte les paroles même de « l’usager »
Cette clinique qu’on est amené à faire dans le champ du social est une clinique que je rapproche peut être abusivement, me diriez vous, de la clinique du trait du cas. Quoi qu’il en soit, avoir le souci du trait du cas, c’est une boussole. Qu’est-ce qui peut faire trait de structure ? Comment déterminer à qui on a à faire ?
Nous avons tous en tête des signifiants qui se dégagent à un moment donné et qui permettent d’éclairer un cas, une prise en charge : cela peut être un métier : « je suis employé libre service », « il est chauffeur de maitre », une phrase répétée à des moments précis et qu’il faut saisir sur le champ : « je veux une remise en forme psychique », « Il faut me faire évacuer ». Comment se servir de ce travail du trait du cas dans le champ du social ? En tout cas il est important de penser ce dispositif, ce jeu de passe/passe de la parole qui va faire discours, ce qui est très différent encore une fois du moulin à paroles qui anime habituellement les institutions.
Car si on n’y va comme analyste c’est pour travailler avec le transfert, sous transfert. En effet, nous sommes amenés à travailler avec différents niveaux de transfert ce qui n’est pas sans poser des difficultés. Comment se repérer dans ces transferts croisés ? Comment faire valoir le transfert et la disparité de places dans un champ où ce qui est censé être opératoire c’est la distance professionnelle ?
Comment introduire dans cette pratique des travailleurs sociaux la question du réel comme impossible, comme limite, au delà de la pathologie du don et de l’impuissance ?
Analyse de pratique, supervision, formation ? Il s’agirait plutôt à mon goût de déformation professionnelle aux lois de la parole et du langage. Je ne travaille pas pour dispenser un savoir, mais pour construire un discours autour de chaque cas. Il s’agit de distinguer ce qui peut être de l’ordre du trait qui vient signer quelque chose de la position du sujet. Il s’agit de proposer une lecture clinique qui déborde du cadre social et qui fait bouger dans le meilleur des cas l’institution elle-même en fonction de la clinique, et non l’inverse.
Une toute dernière remarque : décider de mettre le divan dans la cité et d’y soutenir la fonction de la parole dans un champ laissé en friche ne relève pas d’une position militante, comme pourrait penser certains, mais d’une position politique qui engage notre responsabilité comme analyste.
Je réitère donc ma réponse : on y va comme analyste.
Journée AMCPsy
27 novembre 2010