Qu’attendre du psychanalyste dans une institution dite sociale ?

Louis Sciara, psychiatre, psychanalyste
Pour aborder le thème ferai deux remarques préliminaires (*) :

Je me suis engagé à faire cet exposé car, en raison de mon expérience professionnelle acquise dans diverses institutions et à différentes fonctions, je me suis souvent interrogé sur l’utilité et l’intérêt de l’intervention du psychanalyste en institution tout en reconnaissant que c’est très formateur pour tous.

Je m’autorise aujourd’hui à donner un avis essentiellement sur le travail que j’ai effectué et que j’effectue encore : autrefois,un travail de « supervision » au sein d’une équipe éducative d’un foyer de l’Aide sociale à l’enfance accueillant des adolescentes ; une fonction de psychiatre hospitalier, en particulier depuis quinze ans au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (ex Maison de Nanterre), institution à caractère double puisque sanitaire et sociale, et à l’interface du médical et du social ; enfin, situation présente, un travail de psychiatre responsable d’un centre médico-psychologique, ce qui nécessite une certaine coordination avec différents intervenants du secteur social (de la circonscription à la Mairie, en passant par les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les centres d’aide par le travail, etc.).

Le plus important sur le plan clinique est de veiller à traiter chaque sujet concerné, dans sa singularité et que ce soit le cas par cas des situations qui fasse lien commun.

La seconde remarque est liée à ce que je peux entendre de la part des travailleurs sociaux, de plus en plus coincés dans leur pratique quotidienne par des obligations administratives et légales, inscrites dans leur mission de service public auxquelles ils ne peuvent déroger, même s’ils peuvent donner aussi leur avis en filigrane.

Par exemple, récemment, une assistante du service social de la circonscription est venue raconter le cas d’une femme surendettée et dealeuse, qui bien que malade n’en exigeait pas moins une demande d’aide financière et l’ouverture d’un dossier de surendettement. Cette assistante sociale avait obligation d’instruire le dossier et de l’ouvrir en raison de la demande même. Elle savait que seule l’ouverture d’une mesure de protection aurait son efficacité. Elle demandait justement à notre équipe soignante d’intervenir, car elle ne pouvait refuser l’instruction du dossier, tout en sachant que la réponse à cette demande était inadaptée, ne suffirait pas à calmer la sthénicité de cette femme qui la pressait de répondre à son droit de subvention.

Ce malaise sur le terrain du social va grandissant. Les travailleurs sociaux semblent fort bien mesurer que toute demande de « l’usager »n’est pas à prendre au pied de la lettre et qu’elle recouvre d’autres difficultés. D’où leur adresse à l’intention des « psy » et des psychanalystes en particulier.

Qu’en est-il de leur attente ? À quel supposé savoir font-ils appel ? C’est à partir de ces interrogations issues de ma pratique que j’ai formulé cet intitulé : « Qu’attendre du psychanalyste dans une institution dite sociale ? ».

Question qui interpelle non seulement les travailleurs sociaux (car en quoi le discours psychanalytique pourrait-il être éclairant pour eux), mais aussi les psychanalystes.

Je vais tâcher de donner quelques précisions de la place où je me situe, celle d’un clinicien, mais quoi qu’il en soit de la fonction de chacun, travailleur social ou psychanalyste, nous sommes tous concernés par le champ du Réel sur lequel je vais revenir. Seule la parole permet de l’appréhender même s’il reste insaisissable, que ce soit dans nos dires comme dans nos actes.

Lacan nous a enseigné qu’il y a quatre discours : celui du maître, celui de l’universitaire, celui de l’hystérique et celui du psychanalyste. Il y a même ajouté celui du capitaliste. Sans les développer, l’essentiel est de retenir qu’ils permettent de désigner des places (celles de l’agent, du savoir, de la production et de la vérité), de les différencier.

Le discours analytique (l’objet a, l’objet cause du désir, est en position d’agent et $ est en position de savoir, c’est-à-dire là où le sujet a à travailler dans la cure et où il peut rencontrer l’objet a) pas plus qu’un autre discours ne saurait rencontrer ce réel, mais sa visée est de permettre de « contrer » le réel, en s’appuyant sur du symbolique, là où il y a du manque, là où ça fait trou (« La Troisième », novembre 1974). Le discours analytique suppose qu’il soit énoncé pour dire, soit qu’il y ait du psychanalyste, lequel cherchera à questionner et à mettre en cause les signifiants du social qui ont le vent en poupe (transparence, réseau…), et dont les effets délétères sont de plus en plus criants puisque ce qui est remis fondamentalement en cause ce sont les valeurs symboliques et en premier lieu la fonction paternelle, l’autorité, le S1 en termes lacaniens.

Maintenant, il faut se pencher sur l’institution.

Du latin instituere (« placer dans », « mettre sur pied, établir… fonder »). L’évolution historique du terme est manifeste à la Révolution française puisque les institutions ce sont les « choses instituées », ce qui désigne l’ensemble des structures fondamentales de l’organisation sociale (1790, selon le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey) dans un état social inspiré du contrat social de Rousseau.

L’institution est donc au service du politique et elle est l’instrument d’un ordre social.

D’un point de vue analytique, je ferai l’hypothèse que toute institution est sociale au sens de ce qui est relatif à la société et ce qui lui appartient, mais qu’il faut l’entendre comme une structure langagière qui repose sur des conditions qu’il me reste à définir.

Partons de Freud, par exemple de ses textes de 1913 sur « L’intérêt de la psychanalyse » ou encore celui de « Psychologie des masses et analyse du moi » (1921), il nous indique le chemin en réduisant l’apparente opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie collective.
Lacan écrit dans la même mouvance en 1945, dans les Écrits : « le collectif n’est rien que le sujet de l’individuel » (« Le temps logique »…, Écrits).

Nous connaissons sa phrase célèbre : « l’inconscient, c’est le social ». Il ne fait qu’y rappeler que tout sujet normal, névrosé, c’est-à-dire divisé, n’est représenté par un signifiant que pour un autre signifiant, et qu’il n’est donc représenté que par des signifiants, lesquels sont arrimés à un lieu, celui de l’Autre, celui de la langue ; et à ce titre, cet Autre,trésor des signifiants, c’est notre social dans son ensemble avec les signifiants qui y sont véhiculés.

Ce préalable permet de souligner que, psychanalytiquement, il n’y a pas de sujet qui ne soit dépendant du social, au sens du grand Autre, de l’Altérité.

Venons en maintenant au fond, à l’institution, aux institutions puisqu’elles sont plurielles.

Mon fil directeur c’est ce qui peut bien articuler l’institution soignante à l’institution sociale. La première va — si c’est encore le cas — s’attacher à l’individu, à son histoire personnelle, à sa singularité, à ses dires. La seconde, a visée de traiter du social et du collectif,et de la place du sujet dans le social, non pas de l’individuel, mais il me paraît essentiel qu’elle ait à se référer au langage, aux propos particuliers des sujets qu’elle accueille. En somme, je dirai que ce qui caractérise une institution c’est avant tout un lieu, un lieu symbolique car elle est nommée (sociale ou soignante) et vient occuper une place spécifique dans l’organisation sociale. Mais il y a aussi la finalité, soit l’objet de l’institution et là nous saisissons mieux que l’engagement même de la dite institution est aussi fonction de cet objet : le soin ou, disons,l’insertion (il y a moult institutions sociales d’hébergement, d’accueil, professionnelles,…).

Un peu par provocation, j’ai accollé à mon titre : « institution » et « sociale » parce que je m’adresse essentiellement aux travailleurs sociaux, mais je souhaite traiter de l’institution d’un point de vue clinique et plus précisément analytique et donc je souhaite caractériser ce qui définit l’institution soignante pour mieux à la fois la différencier et la corréler à l’institution sociale.
Je précise donc tout de suite pourquoi cet enjeu.

Parce qu’en clinicien, je me préoccupe avant tout du sujet au cas par cas, et je n’ignore pas que ce qu’il va rencontrer dans sa vie sociale, par l’intermédiaire ou non d’un travailleur social, et dans une institution sociale ou non, ce sont des situations réelles qu’il est important d’entendre comme autant d’éléments signifiants avec lesquels il devra composer, y compris des mesures d’aide sociale (type Cotorep : allocation adulte handicapé, reclassement professionnel…), judiciaires (type curatelle ou tutelle…) ou encore administratives quelconques. Et le travail clinique consiste à tenir compte de ses élaborations, de ses actes et parfois des nécessités à rencontrer des instances sociales, via leurs représentants pour veiller à son intérêt, au respect de son désir (quand désir il y a, puisque l’on ne peut en parler stricto sensu pour les psychotiques), et de sa parole.

Alors, rapidement, si on prend modèle sur une institution soignante, sa structure repose toujours sur les trois registres nommés par Lacan : Réel, Symbolique, Imaginaire, à condition qu’ils soient noués et que ça tienne, ce qui n’est pas toujours le cas, car si la psychothérapie institutionnelle a connu du succès, il y a beaucoup de lieux de soins qui ont été et restent ravageurs – par exemple ceux où règne une autarcie totale, aliénante, et qui « déchétisent » les sujets, les traitant en objets de rebut.

Reprenons les trois registres de la structure subjective :

– celui du Réel, la psychanalyse traite du Réel et la clinique c’est le Réel impossible à supporter disait Lacan. Ce n’est pas le sens commun de la réalité. Le Réel c’est du registre de l’impossible (quoiqu’on fasse ça ne va pas et ça revient toujours à la même place ; les mots ne peuvent tout dire ; il y a du manque qui est structurant pour un sujet, que Lacan formalisait par l’objet a, cause du désir, et qui permet au sujet d’accéder au désir). Dans l’institution sociale, sans doute ce réel n’engendre-t-il pas les mêmes réponses que celles que des soignants pourraient proposer. Sempiternel débat sur le manque entendu trop souvent comme besoin à réparer (logement à trouver, aide financière, par exemple), là où du psychanalyste pourrait y mettre un bémol, sans nier certaines urgences vitales, mais en visant à entériner le fait qu’il y a des impasses, des apories, des solutions impossibles ; il faut alors y mettre des mots avec le sujet concerné, comme dans les concertations avec l’équipe sociale, pour réfléchir alors à ce qui peut être praticable. J’insiste sur cette dimension, parce que, comme je l’ai déjà fait remarquer, notre modernité évolue dans le sens d’une récusation de cet impossible, exigeant en retour solutions adaptées, réparation, restauration, ce qui rabat l’impossible vers la notion d’impuissance. Notons cette tendance actuelle expansive et curieuse à mettre en question la compétence et la responsabilité des professionnels qui travaillent dans le social et qui se retrouvent sur la sellette, remis en cause,de manière identique aux soignants. Il y aurait toujours un manque de savoir-faire, de savoir dire, une suspicion de ne jamais en faire suffisamment. Ce repérage et cette lecture d’un Réel qui échappe est absolument indispensable à la création et à la vie de toute structure institutionnelle. C’est parce qu’il y a du manque qu’il y aura du ir dans l’institution.

– celui de l’Imaginaire, c’est- à- dire ce qui constitue notre aliénation en miroir à notre semblable avec nos conflits, notre agressivité, notre reconnaissance. C’est la condition narcissique du stade du miroir inhérente à notre condition humaine. Cette dimension de l’Imaginaire nécessite de se débrouiller avec les conflits sans les étouffer, ni les hypertrophier ce qui pourrait induire alors une certaine violence. À ce niveau, les institutions sociales et soignantes sont tout à fait homogènes, et la hiérarchie devrait y mettre de l’ordre d’un point de vue symbolique, sans permettre pour autant d’y échapper, à condition que ce soit parlé a minima.

– le troisième registre, celui du Symbolique, celui de notre condition de parlêtre, d’animal doté de la parole, soit la dimension symbolique des lois de la parole et du langage, avec le respect de la loi (l’interdit de l’inceste, la castration). Il n’y a aucune raison d’en différencier la référence dans une institution soignante comme dans une institution sociale.

Finalement c’est bien la nomination symbolique du lieu, la finalité de l’institution, et la conception éthique qui en découlent qui font différence. Et « du psychanalyste » en institution aura à se débrouiller avec ces différences en ayant comme principe majeur dans sa praxis d’avoir à prendre en compte, à souligner ce en quoi il y a du Réel, et qu’il faudra traiter avec un outil symbolique, il n’y en a qu’un celui de la parole. C’est à cela que servent les réunions de synthèse, dans n’importe quelle institution.

Et le Réel, pour l’analyste, c’est sa façon de veiller à entendre cet écart nécessaire entre ce qui peut s’inscrire pour un sujet à titre individuel dans un centre soignant, et ce qui se déploie dans le collectif d’une institution sociale.

Qu’il y ait des lieux institutionnels différents, me permet d’avancer quelques précisions quant à la position de l’analyste en institution sociale où il faut prendre en compte que le collectif des intervenants sociaux n’a pas la formation clinique du collectif soignant, mais peut lui enseigner les enjeux sociaux dans lesquels non seulement les travailleurs sociaux sont pris, mais surtout les sujets, patients ou pas, dont il entend parler.

Sans oublier que l’analyste est lui aussi inclus dans le tissu social à titre individuel, mais également par sa fonction, son emploi dans l’institution sociale dont il dépend. Le lieu impose toujours ses conditions de structure et détermine l’arbitraire, les limites de notre travail (dans une institution qui aura son histoire et son actualité.

Vous constaterez que les mêmes problèmes se posent dans une institution soignante

Pourquoi une équipe dans une institution ferait appel à un analyste ? Qui en a la demande ?
S’il y a demande, c’est qu’il y a symptôme. Alors qu’en est-il ?

Est-ce pris dans une finalité institutionnelle qui suppose l’intervention d’un tiers pour assurer plus de cohérence ? Souvent, les institutions sociales ont recours à des analystes en raison du grand embarras des travailleurs sociaux face à leurs prérogatives, et surtout confrontés à des personnes aux difficultés psychiques lourdes et en proie à des problèmes sociaux complexes.

Dans mon expérience de secteur psychiatrique depuis une vingtaine d’années, du fait de la diminution des lits, des carences en personnels, et de l’inexistence désormais de lieux asilaires (au sens noble), les admissions de sujets à la pathologie psychiatrique sévère dans les centres sociaux et plus récemment ceux d’hébergement et de réinsertion sociale se sont considérablement accrues. De cette dégradation des soins est issue une demande croissante de présence de « psys » in situ.

Un dernier point avant de conclure, mérite notre attention, cela concerne la position et donc la responsabilité de l’analyste pour faire valoir la dimension inconsciente du symptôme, mais aussi réfréner les ardeurs institutionnelles quand ce sont des parlêtres psychotiques qui sont en difficulté. Pour ces derniers, il ne s’agit pas d’exiger une responsabilité de sujet qu’ils n’ont pas, ni une autonomie supposée qui, si elle ne se matérialise pas, peut les stigmatiser au titre du parasitisme, de la mauvaise volonté ou de la manipulation. L’analyste a donc à adopter une position subjective, clinique comme éthique, qui soit attentive au travail de l’équipe sociale, à la particularité des dires qui émanent ou sont rapportés sur le sujet en question et à les entendre. Sa position à l’égard de la dialectique sujet/vérité est donc fondamentale.

S’il agit en donneur de leçons, en expert soignant ou garant de la normativité du sens, il n’est plus alors que dans une position de psychothérapeute qui sait, qui dit la vérité sur l’inconscient (si ce n’est au nom de la psychanalyse !) et qui va aider à trouver le remède adéquat et toujours possible. Cette attitude ne ferait qu’entériner un savoir sur l’inconscient pré-établi et normé, un savoir de connaissance. Or la disposition du psychanalyste ne peut reposer que sur ce qui fait division, tracas pour les travailleurs sociaux qui lui rapportent un cas.

Lacan nous a enseigné qu’il y a un écart irréductible entre savoir et vérité. Il a fait valoir cette aliénation, cette division fondamentale du sujet dans son rapport à l’Autre. Dans cette dialectique savoir/vérité, il y a ce type d’aliénation à l’instar de « la bourse ou la vie ». Ce « ou » laisse entendre qu’il n’y a ni tout savoir, ni toute vérité. Si on est dans le savoir, on n’est plus dans la vérité et vice-versa. « La vérité gît dans les failles du savoir », disait Lacan dans les Formations de l’inconscient.

C’est donc cet écart qui est celui de la division du sujet « normal », névrosé, qu’il s’agit d’entendre comme justement, ce qui est du Réel, ce qui se dérobe toujours.

En savoir quelque chose permet d’entendre avec une certaine critique des interprétations toutes faites sur les personnes. De surcroît, l’analyste aura à soutenir le discours analytique souvent comme un empêcheur de tourner en rond, (comme quelqu’un qui fait coupure dans l’imaginaire des arguments), dans une position bancale ou d’inconfort s’il veut continuer à laisser ouverte cette subversion du sens, du bon sens supposé, ou des solutions toutes faites.

C’est de cette aptitude à tenir cette place dans un lieu institutionnel social que peut naître un transfert à son endroit, un transfert de travail.

La position de l’analyste est donc fort ardue car à la fois il aura à indiquer ce qui fait symptôme individuel ou collectif, mais aussi chercher à ne pas alimenter la jouissance — y compris la sienne — des conflits imaginaires, qui sont de toute façon inévitables. En donnant trop de sens au symptôme, ça ne ferait que l’amplifier, le nourrir.

Attention donc au « marché de la vérité » du symptôme pour reprendre les termes de Lacan dans La logique du fantasme (leçon 16, du 19/4/67, et à une position qui ne saurait l’absenter de « tout idéal de l’analyste » (Le transfert, leçon du 28/6/61) .

Au bout du compte, la psychanalyse vaut par le discours analytique. Le psychanalyste est appelé dans une institution, en particulier sociale, parce que quelque chose y fait symptôme. Que cela fasse symptôme est de bon aloi.

Ce qui caractérise un sujet comme une institution, si je me réfère à une homologie de stucture langagière, c’est son symptôme. Qu’il soit individuel ou collectif c’est bien le symptôme qui intéresse le discours analytique.

L’analyste par sa fonction de tiers en institution aura à se faire l’écho, l’agent de ce discours auprès des travailleurs sociaux, afin de susciter la mobilisation d’un dire à propos des personnes qui les sollicitent dans la singularité de leur cas et, du coup, qu’ils puissent les entendre sans les homogénéiser, sans les anonymiser en simple citoyen, au nom de l’égalitarisme.

Nous savons pourtant que la fonction de l’analyste sera fort délicate, car à partir d’une place où il aurait à tenir ce discours, place de marginalité (comme le dit Charles Melman), il lui faudra s’adapter aux conditions de la structure institutionnelle dans laquelle il est inclus et, tout en partageant des valeurs communes avec les travailleurs sociaux, devra chercher à faire entendre la dimension clinique, et donc mettre l’accent sur ce qui concerne la détermination inconsciente de ce qui fait symptôme. Après tout l’analyste tente de pratiquer comme à son cabinet quand il s’agit de traiter du réel, mais en tenant compte de la structure sociale dans laquelle il est.
Le piège est de chercher à induire un prosélytisme psychanalytique car c’est déjà le signe d’une position subjective de maîtrise d’un savoir et connaissance et non l’indice d’une position analytique soucieuse d’interroger les dires des patients et des travailleurs sociaux concernant leur pratique.

La responsabilité de l’analyste est de se faire enseigner par les propos des travailleurs sociaux mais aussi de leur permettre d’entendre ce qui leur est dit et ce qu’ils disent eux-mêmes. Il ne s’agit pas de venir boucher les difficultés là où le Réel est à l’oeuvre.

Que sa place soit finalement une nécessité de structure inhérente à l’institution et non un argument de maîtrise ou une carte de visite pour alimenter la jouissance des protagonistes de l’institution, jouissance qui est déjà quasi inévitable.

L’important est de souligner qu’aucune place d’analyste, intitulée comme telle, n’es t garantie, ni ne garantit le label du discours psychanalytique. Si l’analyste permet de mettre en évidence la disparité des discours, des places et des fonctions, si quelque chose de la circularité des discours est respectée et peut advenir, alors peut-être aura-t-il contribué à faire son boulot d’analyste dans une institution. Il sera alors possible de constater que du symbolique a opéré.

Mais il faut une clé pour y parvenir : le transfert, cette dynamique auprès des intervenants de l’institution à partir d’un certain style, d’un savoir faire, d’un savoir dire. Cette éventuelle aptitude n’est possible qu’à condition que le clinicien reste à sa place pour traiter du Réel et respecte celle des travailleurs sociaux intervenant à une autre place, mais pas moins soumis au même Réel.

La clinique concerne les praticiens, leur formation,leur lecture analytique. Elle permet de se décaler des impératifs concrets auxquels les travailleurs sociaux doivent répondre, mais aussi d’une tyrannie abusive de l’Idéal du Bien qu’il soit laïc ou religieux. Les travailleurs sociaux pâtissent beaucoup des exigences d’efficacité, de gestion, de réponse sans faille, de contractualisation envahissante et de transparence dans les résultats. Si ce n’est guère rassurant, ils ne sont malheureusement pas les seuls, à en juger par les mauvaises conditions de travail des praticiens de la santé.

Il faut espérer que le discours analytique, grâce au transfert qu’il peut déclancher, puisse mieux éclairer les travailleurs sociaux dans leur pratique, les déculpabiliser de ne pouvoir répondre à l’impossible, les orienter dans le repérage des demandes et leur faciliter la possibilité d’adresser dans d’autres lieux -soignants- les sujets qui en relèvent.
Ainsi « du psychanalyste » aura contribué à ce que la psychanalyse demeure un symptôme. (Lacan, « La Troisième »).
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(*) Je remercie Annie Staricky, psychanalyste, pour ses précieuses remarques et son texte « À quelles conditions un collectif peut-il être soignant ? » (Le Coq Héron, courants cliniques,n°145, 1997) qui a inspiré mon écrit.

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