A propos de l’épuisement professionnel, propositions d’assistance personnalisée

En introduction

De la lecture des enquêtes, aussi bien de l’URML (épuisement professionnel des médecins libéraux franciliens en 2007) ou du travail établi par la CARMF en 2009, on peut établir que cet épuisement professionnel, terme que nous préférons à « Burn Out », décrit un état qui va du désenchantement à l’impossibilité d’exister.
Il apparait qu’un nombre de plus en plus important de médecins se trouve pris en étau dans l’exercice de leur pratique entre une impuissance maximale et une perte de légitimité qui de mettre en question leur existence peuvent aller jusqu’à porter atteinte à leur vie.
Avant de «  pathologiser » les médecins et d’inscrire leurs maux dans des formatages d’une pratique prise au piège de sa propre évolution, nous préférerions avancer dans l’étude du symptôme et ne pas délivrer du paracétamol pour une fièvre qui est l’expression d’un cancer.

Une dépersonnalisation des médecins ou de la médecine ?

On parle de dépersonnalisation des médecins en souffrance. Oui, certes, mais prenons la mesure de cette dépersonnalisation : le médecin souffre d’une dépersonnalisation de la médecine elle-même, qui rend son exercice très problématique. La médecine est en effet dépersonnalisée. Il s’agit d’une crise d’identité et de légitimité ; on ne cesse d’ailleurs, de parler d’une deshumanisation de ses lieux de soins (hôpitaux, …) ; Il restait effectivement jusqu’à présent dans cette médecine française, qui est paradoxalement louée, « le médecin traitant » que l’on dit malade aujourd’hui.
Ne doit-on pas plutôt s’étonner qu’une société, pour la première fois dans l’histoire, fait le constat que les médecins sont malades sans entendre qu’il y avait jusqu’alors une antinomie fondamentale, structurelle à cela ? Toute société avait généré jusqu’alors un corps particulier, à part des contingences quotidiennes (les sorciers, les chamans, les médecins) pour répondre de la « misère humaine » (la maladie, la mort).
Un médecin qui est malade ne peut plus soigner. Le médecin et la médecine ne peuvent être corps malades !

De quoi souffre aujourd’hui la médecine, qu’est ce qui la gangrène au point de la dépersonnaliser et d’étendre cette dépersonnalisation aux soins ?

Il semble en effet que la médecine soit contrainte actuellement à être renouvelée dans ses missions même, autorisant la mise en cause des fondements humanistes de son exercice par le développement d’une société marchande, technico-scientifique, par la pression d’une demande sociale privilégiant le bien-être et par l’immixtion d’un pouvoir politico économique réglementaire favorisant la médicalisation des populations ce qui ne va pas sans une mercantilisation.
La médecine se voit troquer le serment d’Hippocrate pour un contrat marchand et devenir une activité au compte du collectif assurant ses lois et sa règlementation : efficience, rationalité, management, rentabilité.
La protocolisation des soins va de pair avec leur technicisation et impose la désubjectivisation de la relation thérapeutique. Il semble que l’homogénéisation des conduites et des processus, que ce soit dans des registres aussi divers que le soin, l’éducation, ou les modes de vie, provoque la souffrance tant chez les professionnels que ceux que l’on a abusivement nommé les usagers. Il leur est demandé relégation, ou remplacement par des individus conformes qui serait la réussite de la nouvelle gouvernance. N’oublions pas que dans les protocoles il ne s’agit pas de règles délimitant un espace de liberté, fondamentale pour l’exercice de la médecine ; il s’agit d’obligations, de conduites forcées imposées le plus souvent par un chantage moral, juridique ou financier.

N’ayons pas peur aussi d’avancer que cette dérégulation de la relation médecin-malade, c’est-à-dire de la médecine, prend la tonalité d’une contractualisation marchande, l’usager ayant des droits. Voici le premier pas d’une articulation mercantile qui énonce que la médecine est une prestation de service et l’hôpital une entreprise. Dès lors, la fonction du médecin qui relève d’une place symbolique se trouve réduite à un fonctionnement réel commandé par le diktat économique. En effet, si la médecine est scientifique, l’acte médical ne l’est pas, et le médecin certes doit soigner les maladies mais toujours au-delà le malade.
Par ailleurs, cette dérégulation de la relation médecin-malade déstabilise, discrédite les institutions qui soutenaient l’éthique de la pratique médicale et la communauté des praticiens (Ordre des médecins, syndicats, associations de formation des médecins par eux-mêmes), ce qui tente dans ce discrédit à homogénéiser, niveler la pratique médicale à une activité économique quelconque.
La santé constitue aujourd’hui effectivement un capital, elle est un droit, et l’on est prêt à exiger la conformation à un profil stéréotypé du patient en bonne santé en évacuant le fait que derrière tout patient il y a un sujet, et que le médecin est celui qui dans le « souci de l’autre » peut lui porter aide.
La protocolisation va bientôt donner le portrait type du médecin !

Et le médecin dans cette médecine ?

Les organisations professionnelles ont simultanément souligné depuis quelques temps que les médecins se sont trouvés «  humiliés » c’est-à-dire non reconnus ; ils pâtissent de la remise en cause de leur confraternité fondée sur un idéal basé sur «  le souci de l’autre » qui va, n’ayons pas peur de le dire, jusqu’à cette « folie » de penser que l’on peut soigner l’autre, voire le guérir, en se battant avec la douleur, la souffrance et la mort, idéal qui est à l’évidence à la source de leur fragilité.
D’autres corps sociaux sont de même fragilisés par leurs idéaux, cette dévotion à l’autre, qui constitue aussi le ciment de leur action : nous pensons aux enseignants, aux éducateurs sociaux, dont on suppose que leur supposé pouvoir et savoir serait une entrave à une libre circulation de la marchandise.
La médecine est devenue difficile dans son exercice.
Un médecin doit faire face à un patient qui est devenu un usager, qui fait valoir son droit faisant disparaître la fonction symbolique du devoir du médecin, livré à toutes les dérives consuméristes, qui s’en fichent du bon sens et de l’éthique.
Le journal « Metro », un gratuit, titrait récemment : « La médecine deviendra-t-elle éthicable ? », suggérant que dans la consommation de masse elle peut avoir un label de qualité et avoir perdu son éthique.
La médicalisation actuelle des « plaisirs et des jours » des citoyens instrumentalise les médecins.
Le médecin doit faire face aussi à une médecine technique et conquérante qui accrédite sous ses dictats un tout pouvoir politique qui met les médecins dans un étau entre puissance et impuissance, discréditant les limites hier imposées par la déontologie et l’éthique (cf commission d’éthique).

Le médecin, pas un malade comme les autres.

De ce que nous venons d’avancer, il résulte que le médecin ne peut être malade, mais aussi ne peut plus être un malade comme les autres, c’est le prix à payer d’être médecin, d’avoir pris cette place, cette position d’être. Le médecin est le plus mauvais des malades car il ne peut supposer l’autre son médecin ; alors il s’auto-médicalise, s’auto-prescrit, s’auto-dope, aggravant bien souvent la plus petite maladie somatique, la plus petite douleur de l’âme : méconnaissance et déni au service du médecin qu’il est, et qui ne peut être malade.
Ce sont toutes ces constatations qui doivent organiser la stratégie d’une réponse aux malaises des médecins
Il s’agit donc de ne pas pathologiser le médecin, mais d’éviter qu’il soit malade, c’est-à-dire de le prendre en compte en amont qu’il ne souffre de la dépersonnalisation de la médecine, et de traiter avec toutes les coordonnées que nous venons d’énoncer les conditions d’accueil d’un médecin malade. La levée de la méconnaissance du médecin quant à ses troubles suppose ce préalable.
En effet la clinique du « Burn Out », de l’épuisement, peut nous étonner : surmenage ? Les médecins ont toujours beaucoup travaille!

Ce surmenage constitue l’envers de ce qui est demandé à un médecin et des bornes édictées, je dirais, par l’hippocratisation de son exercice, c’est bien l’acte du médecin qui est défait:

  • sécheresse de la relation, détachement personnel, qui contredisent l’engagement du médecin à l’égard de son patient,
  • manque d’empathie, agressivité à l’égard du patient qui contredisent son dévouement, son souci de l’autre.

Conséquences fréquentes de ce surmenage, toxicomanie, auto prescription accompagnent et aggravent, toujours dans un déni et la méconnaissance, les conduites des médecins. A cela s’ajoute le fait que le médecin se met dans une sorte de «  grêve des papiers », de la transmission (pas seulement des feuilles de soin), et des obligations financières.

Alors, quelles propositions ?

Il ne s’agit pas pour nous de regretter l’évolution de la médecine et de nier ses mutations irréversibles ; il s’agit donc pour nous d’accueillir le médecin en amont d’une détresse qui nécessite une cessation d’activité ou qui peut l’entrainer à la cessation de sa vie : c’est le point de rencontre de la demande du sujet(le médecin), et de la demande de la société qui ne peut avoir des médecins malades.
Alors qu’il a pu s’isoler, se culpabiliser et forcément se victimiser, il convient de le remettre en selle dans sa profession (si cela est possible) pour qu’il retente une articulation de son engagement et de son choix singulier, ce qui correspond à le réintégrer en lui-même, et lui permettre de réinstaurer deux espaces, privé et professionnel qui s’étaient dans cette dépersonnalisation, collabés . Par cela, il s’agit donc d’accueillir et réintroduire dans du confraternel, dans du cum (avec) de la fraternité, hors de l’opprobre de la société et de ses lois et verdicts définitifs.
N’oublions pas les vertus dans un autre domaine, celui de l’alcool, des associations néphalistes (anciens buveurs) qui recréent communauté et évitent un regard et un jugement trop excluant et dévalorisant.
Il s’agit également de faire face avec lui et de l’aider ainsi à faire face à toutes les difficultés matérielles et morales engendrée par ses troubles sans éviter de proposer des aides matérielles (aides financières, aide juridique), ce qui permettra de reprendre avec lui avant que le pire n’ait lieu, les impasses qui l’ont mené lui-même à un déroutement.
Nous proposons donc de créer une cellule qui peut se démultiplier, en départemental par exemple, cette cellule de base étant constituée de collègues médecins ayant assumé des fonctions confraternelles et associatives, des psychiatres et psychanalystes qui sont au clair sur la nécessité de remettre ces médecins dans leur fonction avant de s’occuper de leur « oedipe », un groupe confraternel qui peut écouter, orienter, proposer des solutions matérielles et peut-être des stratégies de soin pour les médecins.
Alors que se mettent en place des structures d’hospitalisation spécifiques à la prise en charge de cet épuisement professionnel, il nous semble pertinent de compléter ce dispositif par une prise en charge « ambulatoire » tout aussi spécifique agissant aussi bien en amont qu’en aval, tant l’aspect prévention et soutien confraternel paraissent essentiels.

Dr Pascale Belot Fourcade Dr Yves Rigal
Dr Martine Campion Dr Jacques Rappoport
M Françoise Bernard